mardi 20 mars 2012

La dimension sociale de l'externalisation


Sans prétendre traiter exhaustivement le sujet de la conférence de vendredi prochain au MEDEF sur la dimension humaine de l'externalisation (cf. mon billet du 18 février 2012 : "Externalisation : quid de la dimension humaine ?"), voici quelques éléments de réflexion en grande partie issus de l’ouvrage "Externalisation RH, Guide Pratique et questions clés" aux Editions d'Organisation, co-écrit avec mon ami Patrick Bouvard, rédacteur en chef de RH Info.


Je vous propose un angle plus sociétal qu'opérationnel. Je n'aborderai donc pas ici les problématiques pratiques liées à l'externalisation qui concernent les aspects juridiques, contractuels, la conduite du changement, l'information, la communication, la formation et les relations avec les partenaires sociaux. La prise en compte de ces thèmes du volet "social"  est sans nul doute le critère déterminant du succès "business" d'un projet d'externalisation.

D'un point de vue plus conceptuel, on peut constater une certaine dichotomie entre une approche "business" de l'externalisation et une approche "emploi"En effet, l'intégration, comme processus structurant de l'entreprise système (lieu d'échanges structurels et organisés pérennes), correspond bien concrètement à une externalisation de l'emploi pour l'entreprise identitaire (la personne morale avec une raison sociale).

Cette réalité conforte d'ailleurs de nombreuses théories des ressources humaines opposant un marché interne (primaire, stable, durable, CDI, à temps plein) et un marché externe (secondaire, instable, précaire, CDD, à temps partiel) et mettant en évidence une dualité du marché du travail.

En réaction, les stratégies des ressources humaines, tiraillées entre l'impératif financier et l'optimisation de l'emploi performant, se déploient selon des options fortement contrastées, qui vont en quelque sorte du "tout à l'intérieur de l'entreprise" au "tout à l'extérieur". En matière de business, ce type de dualité ne se pose pas.

La problématique de l'emploi performant n'est pas si facile à trancher. Dans certains cas, l'externalisation de l'emploi est positive pour les salariés. Le transfert d'une activité peut en effet entraîner, pour les salariés concernés, des perspectives de développement et des opportunités de carrière inexistantes dans leur entreprise d’origine. La spécialisation et la technicité offertes par le prestataire au marché l'est aussi pour les salariés transférés. La difficulté est qu'en tout état de cause la performance de l'emploi repose sur la reconnaissance du salarié et la possibilité offerte à ce dernier de déployer ses talents dans les meilleures conditions (on retrouve ici une question RH phare, celle de l’engagement des collaborateurs, cf. billet "DRH : quels sont vos vrais défis pour 2012 ?").


Le transfert de salariés dans l'entreprise prestataire peut entraîner chez les salariés transférés le sentiment que l'on dispose ainsi de leur engagement initial vis-à-vis de leur entreprise «mère». Dans certains cas, les conditions d'emploi peuvent y être moins favorables, parce que liées à celles d'un fournisseur qui est soumis à des pressions constantes sur ses coûts. Ils se retrouvent, pour ainsi dire, du mauvais côté de la barrière, repoussés «à l'extérieur» de la maison. D'aucuns diront que ce vocabulaire est désuet et inadapté à la réalité d'entreprises mondialisées ; mais outre le fait que ce n'est pas aussi vrai que ça pour nombre de PME-PMI, la réalité vécue par les personnes s'assimile bien à cette appartenance du «chez soi». Du reste, tous les efforts des directions pour tenter de réintroduire une âme dans leur entreprise par des valeurs et une culture forte tendent bien à montrer l'importance de cette représentation !

Comme toujours, lorsqu'il s'agit d'êtres humains, il faut prendre garde à ce que la langue porte d'imaginaire et de symbolique. Or ce mot «d'externalisation» est un mot dur pour les salariés-citoyens que nous sommes. Il est inévitablement connoté de manière négative : il sonne comme expulsion, extradition, exclusion, etc. sans parler des amalgames avec d'autres pratiques médiatiques qui résonnent elles comme «délocalisation» (cf."Externalisation ou délocalisation ?" du 9 juillet 2011 et "Fonction RH, externalisation et délocalisation" du 2 mars 2009).

A la différence de l'angle business, le marché de l'emploi reste dual et sans nuance : vous êtes "in" ou vous êtes "out". Et il faut du temps pour que nos mentalités intègrent que la limite entre l'intérieur et l'extérieur de l'entreprise ne se borne pas à la question identitaire. Il faut dire que rien, dans notre nature, notre fonctionnement psychologique ou sociologique, ne nous prépare à une telle considération, à un tel changement de repères. Que l'on regarde, pour s'en convaincre, les réflexes identitaires croissants dont les peuples font preuve un peu partout dans le monde !

A moins que l’esprit des réseaux sociaux, généralisant l’approche collaborative, alimente la transition vers une approche plus systémique, de l’externalisation à la "complémentarisation"...

2 commentaires:

  1. Cet article aborde avec beaucoup d’équilibre les opportunités et contraintes auxquelles sont soumis les DRH pour répondre aux nouveaux enjeux opérationnels.
    Je réagirais sur deux points :
    - Externaliser n’est pas une finalité mais un moyen, un outil pour mieux arbitrer entre ses priorités, un levier pour optimiser les ressources financières. Il s’agit surtout d’une démarche visant à allouer les meilleures compétences aux différentes missions comme démontrer dans le livre de Thomas Chardin et Patrick Bouvard sur l’Externalisation RH (Eyrolles).
    Souvent l’efficacité opérationnelle de ces « talents » est meilleure en interne. Mais si ce n’est pas le cas ?
    Une des règles de base des RH n’est –elle pas de regarder les situations de travail de la manière la plus objective possible.

    - Cet article finit sur l’impact des Réseaux sociaux. Je complèterais cette réflexion par un commentaire sur « Regarder au-delà de l’Equipe ; L’enjeu c’est le Réseau», un excellent article de la Harvard Business Review « Look Beyond the Team: It's About the Network » http://blogs.hbr.org/cs/2012/03/look_beyond_the_team_its_about.html?awid=5309929312424713116-3271 . Il démontre la révolution numérique et sociologique en marche.
    Nous avons passé les vingt dernières années à organiser l’entreprise autour d’équipes projets internes. La frontière change.

    Comment ne pas s’interroger en termes d’organisation sur cette porosité entre interne et externe amenée par les réseaux sociaux. D’ores et déjà le Business intègre ces modèles collaboratifs. Ils régénèrent le Mode Projet, explosent les organisations matricielles et se moquent des organigrammes. Comment ne pas s’interroger sur l’impact dans nos très classiques organisations RH ? La fonction RH ne va-t-elle pas basculer elle aussi sur une approche « Supply Chain » ?

    Externaliser c’est franchir un pas, confronter ses méthodes à celles de spécialistes. Culturellement c’est accepter de déléguer une mission importante non seulement dans une optique économique (sous-traitance) mais aussi qualitative.
    La bonne nouvelle c’est que jamais auparavant les DRH n’ont disposé d’autant de solutions technologiques (ERP, Saas, Best of Breed), d’offres de services ou d’externalisation des processus.
    Les DRH en France sont-t-ils prêts à prendre cette posture d’intégrateur, de fournisseur de services RH ? Chacun réagira en fonction de son propre contexte. Professionnalisme, pragmatisme et bon sens nous aideront dans ces choix.


    Didier ROUXEL
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  2. Merci beaucoup Didier pour ce commentaire très complet dont je ne peux que partager le double contenu :
    - L'externalisation est le moyen potentiel d'une finalité
    - L'externalisation interroge nos modèles organisationnels au même titre que le développement des réseaux sociaux, et nous incite à une approche plus systèmique et collaborative des organisations.

    Je note particulièrement dans les questions finales cette interrogation fondamentale : le DRH est-il prêt ? Et, d'ailleurs, le veut-il ? Souhaite-t-il accompagner ces évolutions technologiques et organisationnelles qui sortent de ses missions traditionnelles ?

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