samedi 30 juin 2012

Déléguer l’accessoire pour aller à l’essentiel



Externaliser les tâches administratives pour se consacrer à la gestion du capital humain et de son évolution est une pratique qui se met en place lentement mais sûrement au Luxembourg. Toutefois, certains freins, plus psychologiques que légaux, ont encore cours.

« Au Luxembourg, les départements RH consacrent encore beaucoup d’énergie à la gestion administrative du payroll et du personnel. Notre vision est de dire que ces départements doivent maintenant évoluer vers leur vrai rôle, qui doit être plus stratégique, orienté vers l’humain et le futur. C’est dans la gestion de la performance, dans l’évaluation et l’évolution des compétences, dans l’accompagnement au changement que se situe la véritable valeur ajoutée des ressources humaines aujourd’hui. » Bart Coone est, depuis un an et demi, directeur de Securex Luxembourg. Avant cela, il travaillait en Belgique, pays où la quasi-totalité des opérations liées au salaire sont confiées à des « secrétariats sociaux ». « Là-bas, le coût salarial étant plus élevé, les entreprises cherchent depuis longtemps à optimiser les rémunérations et confient cette tâche à des prestataires externes. Au Luxembourg, la moitié des sociétés gèrent encore l’administration de la paie en interne », constate-t-il.

Si de nombreuses entreprises se montrent encore frileuses à l’idée de confier certaines tâches RH à des prestataires externes, les mentalités évoluent. Aussi, les crises successives, qui continuent d’alimenter l’actualité, se sont accompagnées du développement de nouvelles priorités comme l’optimisation des ressources, la réduction des coûts et le recentrage des activités des sociétés vers leur cœur de métier. « Le marché de l’externalisation de certains processus RH est loin d’être mature, avance Thierry Vanbever, directeur de SD Worx Luxembourg. Or, on constate qu’un département des ressources humaines consacre jus­qu’à 50 % de son temps aux tâches administratives, à gérer le quotidien, la paie, les congés, les maladies… Les opérations plus stratégiques qui contribuent à la performance globale de l’entreprise, dans lesquelles se situe la véritable valeur ajoutée, occupent 45 % du planning. Les 5 % restants sont con­sacrés à des problématiques complexes qui deman­dent une expertise précise, qu’il faut parfois aller chercher ailleurs.

Changer les mentalités
Sur le marché, différents acteurs s’activent depuis plusieurs années déjà pour convaincre les entreprises de leur confier une partie des tâches historiquement placées sous le contrôle du directeur des ressources humaines.

En la matière, le calcul des salaires constitue la principale porte d’entrée du prestataire externe qui peut ensuite proposer d’autres services plus étoffés. « Pour Securex, la première étape clairement identifiée est de convaincre les dirigeants, les CEO, de nous confier le volet administratif des ressources humaines. S’occuper de ces services en interne n’a plus de sens aujourd’hui. Des spécialistes sont présents sur le marché, ils disposent des compétences métier, d’outils intégrés et performants, ils investissent dans des solutions de pointe », plaide Bart Coone.
L’évolution est en marche. Les départements RH commencent à comprendre qu’ils doivent viser un rôle plus important, plus valorisant, mais qui demande aussi des compétences différentes. « Sur ce point, l’un des défis pour le directeur RH est de se faire une place au sein du comité de direction », glisse Thierry Vanbever. Il est en effet difficile de faire évoluer les ressources humaines vers un axe plus stratégique, si cette stratégie leur est étrangère...

L’objectif de toutes les parties prenantes doit être d’amener l’entreprise vers plus d’efficience. Pour cela, l’externalisation des processus RH peut prendre une multitude de formes.

Une offre flexible, façon « couteau suisse »
On l’a dit, le transfert du payroll au prestataire externe est, dans la très grande majorité des cas, la première étape à franchir. « Actuellement, nous recevons beaucoup de demandes concernant les fiches de paie électroniques, ajoute le directeur de SD Worx. Notre rôle est de faire en sorte que l’administration du calcul des salaires soit la plus automatisée possible. Pour ce faire, nous disposons d’un département IT dédié. Nous travaillons en étroite collaboration avec les responsables informatiques de nos clients, nous étudions l’ensemble du workflow et proposons des solutions adaptées à chacun. Aussi, nous avons développé notre propre moteur de paie, un outil qui peut être agrémenté de bien d’autres fonctionnalités destinées à faciliter la gestion quotidienne du personnel. » Ces solutions peuvent, selon les cas, être directement installées dans les locaux du client, mais restent majoritairement domiciliées chez le prestataire avec un accès Internet de consultation et de transmission de données.

Aujourd’hui, pour les sociétés qui ont franchi le pas, les salariés peuvent avoir accès à leurs données personnelles sur une plate-forme sécurisée. « Les questions liées à la sécurité des données, encore souvent entendues, n’ont plus de raison d’être, souligne Bart Coone. Via notre site Internet, le salarié dispose d’un véritable coffre-fort personnel, accessible via un identifiant et un mot de passe. Nous travaillons au quotidien à l’optimisation de ces outils. »

Un juste équilibre à trouver
Selon les experts en conseil RH, il n’y a pratiquement pas de limite à l’externalisation des services. Même si la pratique n’est pas monnaie courante, certaines sociétés délèguent ainsi l’entièreté de leur département à un prestataire externe. C’est essentiellement le cas pour certains groupes internationaux qui occupent 20 ou 30 salariés au Luxembourg. Ils disposent d’une direction des ressources humaines au siège central, qu’il soit à Paris, Londres ou Moscou, mais ils délèguent la gestion quotidienne du personnel de leur filiale à un prestataire local.

« Notre métier se base sur une grande flexibilité, reprend Thierry Vanbever. Nous voulons être le couteau suisse des RH. Notre core business reste le payroll, mais nous développons bien d’autres activités. Les missions de nos consultants sont diverses et variées. Certains travaillent full time chez un client pour une période donnée. Ils peuvent être amenés à remettre de l’ordre dans les processus RH, apporter du conseil sur des questions très précises, tout comme ils sont parfois là pour assurer de l’encodage. Dans la plupart des cas, nous proposons une offre hybride, avec d’un côté l’administration des salaires et, de l’autre, une expertise pointue par rapport à des thématiques complexes. »Sur le terrain, juristes et responsables des ressources humaines sont appelés à travailler en étroite collaboration afin de veiller au respect des règles. « Pour notre part, l’externalisation totale des ressources humaines ne nous semble pas envisageable », confie Pierre Elvinger, président de l’ELSA (Employment Law Specialists Association) Luxembourg, une asbl dont l’objet est de favoriser les contacts et les échanges entre tous les acteurs pratiquant le droit social luxembourgeois, incluant l’ensemble des aspects juridiques liés à la gestion des ressources humaines. « Le pouvoir de direction doit rester dans les mains de l’employeur. Le DRH doit pouvoir assurer le contrôle et la gestion des relations avec les prestataires externes. Simple question de bon sens, la gestion stratégique du capital humain, principal atout de la société, nous semble devoir rester du ressort principal de l’employeur, quitte à se faire conseiller par un professionnel en la matière. »

L’un des risques soulevés par l’association est de voir un lien de subordination se créer entre le consultant, employé par le prestataire, et l’entreprise au sein de laquelle il est amené à travailler de façon régulière. « Ce lien de subordination existe à partir du moment où le travailleur reçoit des ordres, les exécute et peut être sanctionné en retour. Dans la majorité des cas, le client se retournera vers le prestataire de services en cas de problème, mais le lien s’installe parfois à l’insu de tout le monde », relève Anne Morel, vice-présidente de l’ELSA. Un autre danger, théorique, touche au transfert d’entreprise. « Concrètement, lorsqu’une activité prestée en interne est externalisée, on peut tomber sous le coup de la loi réglementant le transfert d’entreprises. L’externalisation pourrait alors, dans certains cas, s’accompagner du transfert des contrats des salariés liés à cette activité », poursuit Anne Morel.

Mutualisation de moyens 
Attention enfin au prêt de main d’œuvre illégal, auquel pourrait être assimilée la mise à disposition d’un consultant par un prestataire de services dont l’activité normale et permanente ne serait pas celle à laquelle est affecté ce consultant... Ces questions de droit ne doivent toutefois pas être considérées comme des obstacles insurmontables ou des freins à l’externalisation de certains processus RH. La démarche, faut-il le rappeler, doit s’inscrire sous un angle stratégique, afin de soutenir et renforcer la capacité d’innovation des entreprises, même pour les plus petites d’entre elles. « L’idée sous-jacente à tout processus d’externalisation est de leur permettre de se focaliser sur des tâches à plus forte valeur ajoutée, explique Linda Szelest, program manager ‘Human Capital’ au sein du CRP Henri Tudor. Notre centre de recherche est orienté vers l’innovation et nous sommes convaincus que pour qu’une innovation soit pérenne, celle-ci ne peut se limiter au seul volet technique. »

D’autres aspects, surtout humains, sont essen­tiels. « C’est dans cet esprit que nous avons lancé tout récemment un projet pilote qui s’intéresse à la mise en place de services RH mutualisés à destination de PME qui n’ont pas les moyens de développer cette activité en interne », précise Linda Szelest.

Pour l’heure, l’équipe est occupée à la définition des besoins précis de ces petites sociétés. En septembre, le projet entrera dans une étape plus concrète avec la mise en grappe des sociétés désireuses de tester le système. « Le business model doit encore être peaufiné. Mais l’avantage pour les participants est de pouvoir profiter de services RH performants, à un moindre coût, en profitant de souplesse et de flexibilité. » Pour assurer ces services, le CRP a contacté une série de consultants RH, prêts à relever le défi. Les mentalités évoluent. Doucement mais sûrement.

Externalisation - Le paradoxe du recrutement
Si, au Luxembourg, les mentalités font que bon nombre de dirigeants et responsables des ressources humaines veulent développer l’ensemble des fonctions RH en interne, et notamment la gestion des salaires, une tâche particulière semble échapper à la règle. « Le recrutement est certainement le processus RH dont se débarrassent le plus aisément les sociétés », constate effectivement Thierry Vanbever (SD Worx). Sur ce marché, les acteurs sont légion. Les employeurs ont bien compris le gain de temps et les économies qu’ils pouvaient réaliser en confiant à d’autres la difficile sélection des candidats. « Même si le prestataire n’est souvent là que pour faire le tri parmi une abondance de candidatures, on touche ici à une fonction d’une importance stratégique capitale », note Pierre Elvinger (ELSA). Il peut donc sembler paradoxal de sous-traiter avec facilité ce genre de tâches et de rechigner pour d’autres, bien moins importantes pour le devenir de la société.

Source : www.paperjam.lu, "Déléguer l’accessoire pour aller à l’essentiel" par Michaël Peiffer, le 27 juin 2012

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