vendredi 6 janvier 2012

La « réhumanisation » en 6 tendances clés

Ci-dessous un article fort pertinent que je vous invite à lire posément. Six constats pour six tendances pour une «réhumanisation» de nos vies. Bonne lecture.


  2012, année plus humaine ?

Jamais la demande d’humain n’a été aussi forte que ces derniers mois au sein des sociétés développées. Dans de nombreux domaines, les signes se multiplient qui révèlent le besoin croissant de remettre de « l’humain » dans les modes de vie et de consommation. La diffusion continue des technologies dans nos vies est évidemment une des sources de ces aspirations. Mais elle n’est pas la seule. Le désir d’un monde plus « humain » apparaît en effet multiforme et répond à un certain nombre de tendances et de préoccupations qui ne cessent de monter dans les grands pays développés.

A travers son dispositif de veille internationale Trend Observer (France, Grande Bretagne, Suède, Italie, Etats-Unis et Japon), Ipsos Public Affairs a identifié l’émergence et le développement de six tendances clés autour de ce thème de la « réhumanisation ».
 
 
1. La société de la connexion généralisée crée un besoin croissant de relation humaine
 
La place grandissante de la technologie dans nos vies suscite, en réaction, le besoin d’expériences concrètes, le retour à la réalité « physique », et la valorisation du plaisir et de l’émotion. C’est qu’avec le développement des Smartphones et des tablettes de type Ipad, la connexion est désormais possible tout le temps. On se connecte partout. Même le lit, espace intime, devient un espace connecté. On y téléphone, on y consulte ses mails ou son compte Facebook, on y tweete, on y envoie des SMS… Chez certains, ce besoin devient une véritable addiction. Autre tendance qui se poursuit, certes moins massive, mais tout aussi dynamique : la virtualisation. Le marché des biens virtuels connaît en effet une forte croissance. Le résultat en nette hausse d’une entreprise comme Zynga, éditeur de jeux vidéos, est aujourd’hui essentiellement tirée par la vente d’objets virtuels pour des jeux comme Farmville ou City ville. Le géant américain Facebook a, quant à lui, introduit en 2011 une monnaie virtuelle (Facebook credits). 
 
Conséquence de tous ces développements : le contact humain est de plus en plus « zappé », et l’impression augmente selon laquelle le digital se substitue à l’humain. De fait, les individus ont conscience de passer de moins en moins de temps ensemble. En France, 60% des personnes interrogées par Ipsos le constataient en 2006. Ils sont 73% en 2010. D’ailleurs, même ensemble, explique la chercheuse Sherry Turkle dans son livre Alone Together, on est « seul » : « nous utilisons des objets inanimés pour nous convaincre que même quand nous sommes seuls, nous nous sentons ensemble. Et puis, quand nous sommes avec d'autres, nos appareils mobiles nous mettent constamment en situation où l'on se sent seul. Ces objets induisent une très grande confusion sur ce qui est important dans les relations humaines. »
 
Pour autant, on n’observe pas de montée d’un sentiment « anti-technologique ». Les nouvelles technologies ne sont pas rejetées, mais leur statut inquiète. On s’interroge sur leur côté parfois « déshumanisant ».
 
D’où l’importance accordée aux lieux physiques. Dans l’univers de la consommation, le magasin conserve ainsi son statut de source d’influence primordial dans le choix des achats. Le digital se met d’ailleurs à son service. On observe l’usage croissant de la technologie (applications Iphone) pour inciter les individus à se rendre dans les magasins physiques (via les techniques de géolocalisation). En 2011, dans certains restaurants, McDonald’s a testé en France le « service en personne ». Evolution significative : le fast food reprend les codes ancestraux du restaurant classique… Quant aux entreprises nées sur Internet, elles continuent d’ouvrir leurs magasins ou showrooms (Ebay, OKado, Pixmania…), comme si le contact humain direct avec leurs clients devenait essentiel. Signe des temps : même les banques ouvrent des cafés, comme la Deutsche Bank en Allemagne. Derrière toutes ces évolutions, le même désir : réintroduire de l’humain dans la vie quotidienne et les pratiques de consommation.
 
 
2. Les individus, de plus en plus méfiants, sont en quête de réassurance via la proximité humaine
 
Autre évolution favorisant ce désir de « réhumanisation » : la méfiance des consommateurs n’a cessé d’augmenter ces derniers mois. Controverses et crises alimentaires à répétition (dont la récente E. coli), crises financières, crises de la dette des Etats européens, etc. Tout ce qui est « global » semble échapper au contrôle non seulement des individus, mais également des institutions. Les consommateurs accordent difficilement leur confiance et cherchent des raisons de se sentir plus sûrs.
 
Retrouver la confiance : telle est la priorité. Ceci conduit à des demandes accrues de traçabilité, de retour au local… La proximité est parée de toutes les vertus. Le « made in France » paraît plus digne de confiance. Se rapprocher des lieux de production comme si l’on avait envie de « toucher » du doigt là où cela se passe. Il est intéressant de noter que les grandes marques de produits biologiques, dont le succès ne se dément pas, ne cessent de faire l’éloge d’une consommation à visage humain, mettant en avant les producteurs du cru, montrant leurs exploitations, révélant leur identité physique… Les produits locaux s’accompagnent de photos qui permettent de savoir à qui on a affaire. Le visage humain rassure.
 
Parmi les attentes à l’égard des magasins les plus dynamiques ces dernières années, on retrouve le désir de fréquenter des magasins à « taille humaine ». Là aussi, on veut se rassurer sur sa propre consommation. On recherche des lieux de vente où l’on peut contrôler ce que l’on achète ; des espaces où l’on ne s’égare pas.
 
 
3. La « yoyoïsation » engendre un fort besoin de stabilité
 
Troisième tendance significative : les nouvelles du monde qui parviennent aux individus font irrésistiblement penser au mouvement du « yoyo ». La variation permanente à laquelle ils assistent en spectateurs (des cours boursiers, des cours de matières premières, des interprétations de données économiques…) leur donne le sentiment d’une absence totale de direction. Le « syndrome Dexia », du nom de cette banque franco-belge qui, le 10 octobre 2011, n’a cessé de voir son cours varier en quelques heures (-36%, +5%, -4,73%) avant que le gouvernement belge n’annonce sa nationalisation, exprime bien la relativité des valeurs. Les commentaires se contredisaient d’un jour à l’autre sur son état de santé. On passait de la dramatisation à l’euphorie.
 
Dans ce contexte, de plus en plus de gens ne savent plus qui croire. Le besoin de stabilité – le besoin de cohérence – est de plus en plus ressenti et exprimé dans les enquêtes.
 
Cela passe notamment par une envie de réduire sa vitesse. Une proportion croissante de personnes souhaitent ralentir leur mode de vie, adopter des rythmes plus « humains ». Dans les grands pays européens, une majorité de personnes exprime ce besoin : 64% des Italiens, 58% des Français, 52% des Allemands. Certains envisagent de se déconnecter temporairement pour se reconnecter de façon plus fondamentale à leurs vrais désirs. C’est la vogue des séjours de silence où, coupé du monde, on se retrouve face à soi-même. Dans tous les cas, il s’agit de reprendre le contrôle sur sa vie, de réintroduire de la continuité dans une existence « trouée » de toutes parts.
 
Pour lutter contre la « yoyoïsation », les individus ont également besoin d’histoire. Ils ont à cœur de transmettre des valeurs. Ils valorisent les produits qui possèdent un héritage et qui reposent sur un savoir faire authentique. Ils cherchent à se projeter au-delà d’eux-mêmes. Vaincre le présent. Pouvoir raconter une histoire à leurs enfants.
 
 
4. Le sentiment que l’agressivité des gens ne cesse d’augmenter provoque la nostalgie des « bonnes manières »
 
Le « manque de savoir vivre, l’agressivité des gens » sont cités comme la première source de stress en France, en Grande Bretagne ou en Allemagne (cités respectivement par 60%, 59% et 47% des personnes interrogées). C’est la deuxième source de stress aux Etats-Unis (50%). Dans un pays comme la France où la politesse est une valeur plébiscitée par 65% de la population, l’agressivité est particulièrement mal ressentie. Beaucoup y voient une atteinte à une forme d’héritage patrimonial. Surtout, dans un environnement social qu’ils perçoivent de plus en plus comme insécurisant, les Français ont la nostalgie d’une société où les gens se parlaient davantage et respectaient des codes de savoir vivre désormais en déclin.
 
Face à ces évolutions, on observe une valorisation croissante des valeurs de politesse et de civilité. Dans le domaine des transports, les campagnes sur le thème de la civilité et le respect des règles se développent. De nombreux livres parus récemment font l’éloge des valeurs de « gentillesse » ou de « délicatesse ». Au Japon, de nouvelles écoles se créent pour apprendre les règles ancestrales de la politesse et de la cérémonie du thé. Dire merci, entretenir un état d’esprit positif sont des gestes ou des attitudes amplifiées par le succès des ouvrages de psychologie positive.
 
 
5. L’ère de la « performance insignifiante » engendre le désir d’humaniser les progrès technologiques
 
Les individus ont le sentiment que le monde est de plus en plus performant, mais cette performance a de moins en moins de sens à leurs yeux. Toujours plus vite, toujours plus optimisé, toujours plus rationnel. Comme l’écrit le philosophe italien Fabio Merlini, la « performance insignifiante » progresse. Le sentiment prévaut que les machines et leur fonctionnement froid, impersonnel, ont pris le pas sur les hommes. La technologie « oublie » les humains de plus en plus. La place dévolue à l’improvisation, à l’incertitude, à l’erreur est de plus en plus marginale.
 
Dans les enquêtes, on note, de façon croissante, le sentiment diffus que nombre de prouesses scientifiques ou techniques n’apportent pas nécessairement des bénéfices tangibles pour les individus. Certaines performances ne font plus sens aux yeux des consommateurs. Cette situation engendre un besoin de lisibilité, une forte demande de sens. 35% des personnes interrogées en France se sentent « de plus en plus dépassées », un chiffre qui a augmenté depuis le milieu de la décennie 2000. Fait significatif : cette proportion se retrouve dans toutes les générations (autrement dit, ce n’est pas parce qu’on est « vieux » que l’on se sent « de plus en plus dépassé »). Redonner du sens aux « performances » ou aux impératifs de performance devient un enjeu crucial. Les consommateurs ne veulent pas s’adresser seulement à des machines puissantes et rapides. Dans les enquêtes, le contact humain et la réponse personnalisée sont les deux attentes les plus plébiscitées par les personnes interrogées.
 
L’évolution de plusieurs enseignes montre que l’on recherche de plus en plus à échapper à l’image d’un service standard pour introduire une dimension humaine et relationnelle. C’est ce que tentent, en France, plusieurs administrations en réorganisant leurs espaces dédiés aux usagers. C’est ce qu’a entrepris l’enseigne Best Buy aux Etats-Unis en proposant un service de réponse personnalisé via Twitter à ses clients.
 
 
6. La désynchronisation suscite l’envie de retrouver des rituels de rencontres
 
Les individus ont de plus en plus de mal à accorder leurs emplois du temps les uns avec les autres. C’est le temps de la désynchronisation des trajectoires de vie : on n’a plus le temps d’entretenir des relations suivies (trop de sollicitations, trop de contacts, manque de temps). Ainsi 34% des Français ont-ils « l’impression de voir de moins en moins de gens ». Ce chiffre atteint 42% chez les femmes âgées de 25 à 34 ans et 39% chez les hommes âgés de 45 à 54 ans ! Une des raisons à cet état de fait vient du grand nombre de projets que les individus poursuivent. De fait, 59% des Français âgés de 15 ans et plus reconnaissent qu’ils ont « trop de choses à faire dans leur vie ». En conséquence, « passer beaucoup plus de temps en famille » est plébiscité par 74% d’entre eux. 
 
Se retrouver ensemble est un besoin qui se fait sentir de façon croissante : se réunir, retrouver du temps avec ses proches, favoriser les opportunités de rencontre… Les rituels traditionnels font l’objet de promotions actives : le repas familial aux Etats-Unis est célébré par plusieurs marques dans leurs communications, tel Uncle Ben’s. En Grande Bretagne, beaucoup ont la nostalgie du repas du dimanche midi. Partout, on veut tisser des liens, renouer avec des traditions, renforcer les liens humains. C’est un des aspects de cette sensibilité qui monte dans les grands pays développés : comment maintenir les liens entre les gens ? Comment préserver le dialogue, l’échange, la convivialité : préoccupations toutes humaines.
 
 
Les mots clés pour une société à visage humain
 
La demande en faveur d’une société plus « humaine » se retrouve donc dans de nombreux domaines et obéit à une multiplicité de mécanismes. Cette dimension humaine est multiforme et recouvre notamment : 
  • Une demande d’expérience concrète, de contact physique, d’émotion,
  • Une demande de sens, de cohérence, d’histoire,
  • Une demande de stabilité, de continuité,
  • Une demande de convivialité, de temps passé avec les autres,
  • Une demande de civilité et de respect des « bonnes manières »,
  • Une demande de confiance et de sécurité.
 
A propos de Trend Observer
Chaque année depuis 1997, Trend Observer détecte, explicite, et hiérarchise les tendances qui vont se développer dans le futur. L’analyse repose sur plus d’une soixantaine d’interviews conduites dans six pays auprès de trend setters et d’experts ainsi que sur une veille annuelle réalisée dans chaque pays. L’étude est reconduite chaque année. Périmètre géographique en 2011 : France, Grande Bretagne, Suède, Italie, Etats-Unis, Japon.
Rémy Oudghiri -  Directeur du département Tendances & Insights, Ipsos Public Affairs
Lise Brunet - Directeur d'études (Département Tendances et Insights) Ipsos Public Affairs

Source : Ipsos, Ipsos Public Affairs, le 14 décembre 2011

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