samedi 3 octobre 2009

Arrêtons d'opposer l'industrie et les services



Dans Les Echos d'hier, Christian Poyau, l'ancien président de Croissance Plus, qualifie la suppression de la taxe professionnelle de « coup de poignard dans le dos des entreprises de services ». Cette image censée frapper les esprits est développée par l'argumentaire suivant : puisque seule l'imposition liée aux investissements est concernée, l'aménagement de la taxe professionnelle va profiter exclusivement à l'industrie.


Mais la part assise sur la valeur ajoutée demeure, ce qui pénalise les entreprises de services. Or la valeur ajoutée étant totalement liée à la masse salariale, cela va affecter négativement l'emploi, en augmentant un coût du travail déjà qualifié de « monstrueux ».

Cet exposé reprend la plupart des clichés habituels opposant l'industrie aux services. Mais ils ne correspondent pas du tout à la réalité économique. Il faut les critiquer car prolonger cette fracture artificielle est source de confusion et d'inefficacité. Pour l'illustrer, reprenons deux points clés à partir des comptes nationaux 2007 de l'Insee (dernières données complètes disponibles).


Première idée fausse : en raison de ses importants investissements, la part des salaires dans la valeur ajoutée serait plus faible dans l'industrie que dans les services. Une taxe assise sur la valeur ajoutée serait donc relativement plus pénalisante pour l'emploi dans les services.


A l'examen des chiffres, surprise : la part de la rémunération des salariés dans la valeur ajoutée (pour simplifier, on ne tient pas compte de la fraction allant de 1 à 10% selon les secteurs qui provient d'entreprises individuelles) s'élève à 63,5% dans l'industrie et à 50,2% dans les services marchands ! Si on examine les données par branches, on constate que ce taux varie dans l'industrie de 37,1% (énergie) à 75,6% (automobile). Dans les services marchands, l'intervalle va de 5,6% (activités immobilières) à 66,6% (services aux entreprises).


Certes le cas très particulier de l'immobilier (location) pèse sur le taux global des services. Mais si on ne tient pas compte de cette branche, alors la part des salaires dans la valeur ajoutée du reste des services marchands (commerce, transport, des activités financières, services aux entreprises et aux particuliers) est en moyenne 65,6%, soit un taux vraiment très voisin de l'industrie. La variation de ce taux selon la branches ou le secteur apparait plus forte et décisive qu'entre industrie et services.

 
Seconde idée reçue : l'investissement est une question exclusivement industrielle. C'est oublier les profondes mutations structurelles provoquées par le processus d'externalisation depuis les années 1980. Externalisation de tâches qui ne se limitent pas aux seuls services intensifs en main d'œuvre faiblement qualifiée et nécessitant peu d'investissement mais s'étendent désormais aux services financiers, de conseil, de gestion des ressources humaines, de R&D, de location d'équipements spécialisés (appareils électriques, mécaniques, de transport répondant à des besoins ponctuels d'une entreprise mais ne justifiant pas une acquisition permanente)…


Ce dernier exemple illustre combien les services ont également besoin d'investissements. Résultat : en 2007, la formation brute de capital fixe dans les services aux entreprises (qui regroupe l'essentiel des services externalisés) atteint 51,6 milliards €… et 43 milliards dans l'industrie ! Réduire la question de l'investissement au seul périmètre industriel oublie ainsi la moitié de l'effort des entreprises.


La discussion des enjeux de compétitivité de notre économie et de l'efficacité des politiques publiques mérite mieux que ces raccourcis trompeurs. Elle doit reposer sur une analyse des situations économiques et concurrentielles réelles des entreprises et s'affranchir une fois pour toutes de cette opposition éculée et fausse entre industrie et services.

Source : Rue89, rubrique Eco, article "Arrêtons d'opposer l'industrie et les services" par Gilles Le Blanc, le 1 octobre 2009.


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