Les réseaux sociaux font une entrée en force dans l'entreprise. Quelle plus-value peuvent-ils apporter ? Comment les utiliser à bon escient dans les politiques RH ?
En bonne administratrice du contrat social et des relations du travail, notre fonction était dite «Personnel». Focalisée sur la réduction des Risques sociaux, son savoir-faire principal était juridico-comptable : pour chaque catégorie de poste, la main-d'œuvre devait avoir des qualifications.
Nous sommes passés à une fonction en charge des Ressources humaines où les pratiques nord-américaines de management - team-building, e-learning, coaching et autre 360° feed-back - s'y sont largement diffusées. L'individualisation des actes de gestion et le développement des compétences constituaient les axes clé de l'optimisation de la ressource « salarié ».
Aujourd'hui, le talent management prédomine dans une GRH toujours individualisante mais plus valorisante, au moins dans ses aspirations. Dans un contexte où la créativité, l'innovation et l'engagement constituent les garants de la survie pour les entreprises, leur capital immatériel et leur potentiel émotionnel deviennent les paramètres majeurs de leur compétitivité. Ainsi, notre fonction a dorénavant en charge la défense de la marque Employeur, la promotion de l'image de l'entreprise, la valorisation de sa Richesse humaine.
Risques humains, Ressources humaines, Richesses humaines... Sans être grand clerc de l'anticipation, ne faut-il pas dès à présent intégrer les principes d'une fonction en charge du Réseau social de l'entreprise, de ses Relations Humaines et de son talent collectif ?
En effet, l'avènement du web 2.0 entraîne de nouveaux comportements, de nouveaux usages et de nouvelles attentes. Rentrés dans le quotidien, notamment des nouvelles générations Y et Z, les Facebook, MySpace, Dailymotion, Twitter, Viadeo, Skype, etc. permettent à ses utilisateurs d'être des participants actifs, et non plus de simples visiteurs de pages statiques. Ces technologies 2.0 sous-tendus par les notions de comportement participatif et de démarche collective impactent fortement et en profondeur la gestion de l'entreprise et donc la manière de « faire des RH ».
Passer du «Je» au «Nous»
Le développement de systèmes collaboratifs et la mise en oeuvre de pratiques innovantes intègrent un nombre croissant d'acteurs, dans et hors de l'entreprise. Par exemples, dans le cadre de la formation ou de l'intégration d'un nouveau collaborateur, des communautés apprenantes plus larges que celles précédentes se développent avec la multiplication des universités d'entreprises et des formations à distance souvent mixées avec une démarche pédagogique en présentiel. Ce blended learning couplé à une logique de mentoring crée un véritable réseau de « social learning ». Nous sommes ici à l'opposé d'un knowledge management se traduisant simplement par un répertoire partagé sur un réseau informatique de connaissances plus ou moins formalisées, sans interactions, sans échanges ni chaleur humaine.
Dans le cadre de l'évaluation de la performance, la généralisation du mode projet appuyés par des systèmes organisationnels et techniques collaboratifs entraîne nécessairement des modalités d'appréciation et de reconnaissance du talent d'un ensemble d'individus aux compétences imbriquées, au détriment des systèmes traditionnels d'individualisation.
La fin des pyramides
Une étude du Gartner montre que d'ici 2014, 20% des professionnels utiliseront les réseaux sociaux plutôt que l'e-mail comme vecteur principal de communication. Dans le même temps, le glacier américain Ben&Jerry's a annoncé qu'il renonçait à sa newsletter mensuelle au profit des réseaux sociaux. Ainsi, la virtualisation des relations managériales (travail à distance, numérisation, réseautage), l'évolution de la communication intersalariés et la diffusion des pratiques modernes de communication (mail, chat, texto, blog, vidéo, etc.) entrainent l'émergence d'autorités sans pouvoir et de pouvoirs sans autorité. Elles remettent en cause progressivement mais profondément le mode de management traditionnel et les systèmes hiérarchiques classiques.
L'information ne circule plus comme avant, en cascade du haut en bas, des cadres supérieurs vers les cadres puis vers les employés, mais de manière horizontale, entre les différents collaborateurs qui participent à des projets collectifs ou plus simplement qui sont inter-connectés. Quand les employés d'un service obtiennent systématiquement l'information avant leur manager, il y a nécessairement un changement dans son leadership et son mode de management. Le rôle du manager glisse progressivement d'une gestion traditionnelle en râteau à une coordination d'une communauté où les compétences s'entrelacent au grès des objectifs de l'entreprise. La société passe du statut de "personne morale" à celui de "communauté de destin" où chacun tire sa satisfaction de la réciprocité avec autrui.
Une frontière qui s'effrite
Le développement des réseaux sociaux entraîne une porosité croissante entre sphère professionnelle et sphère privée qui interroge directement notre fonction. De nombreuses affaires sortent sur des salariés licenciés pour avoir tenu des propos parfois critiques à l'encontre de leur entreprise sur un blog ou un mur personnel. Ca a été le cas de la société Alten ou plus récemment d'une association de défense de femmes victimes de violences conjugales qui a licencié trois travailleuses sociales pour "faute lourde" en raison de propos tenus sur Facebook jugés "injurieux, diffamatoires et menaçants. Quelle conduite à tenir pour un DRH devant ces comportements ? Faire l'autruche et penser que c'est marginal alors qu'aujourd'hui les internautes passent un quart de leur temps sur les réseaux sociaux, que leur usage quotidien se démultiplie et qu'il est renforcé par l'utilisation croissante des smart phones ? Sanctionner professionnellement des commentaires parfois anodins sachant qu'une sanction perçue comme disproportionnée par les internautes peut faire boule de neige et au final nuire à la réputation de l'entreprise ? Les bonnes réponses restent à construire. N'attendons pas cela de la Direction marketing ou commerciale. La DRH est bien en première ligne sur ce sujet.
L'implication des acteurs RH de l'entreprise en est d'autant plus cruciale que le développement des réseaux sociaux impactent également et surtout l'organisation du temps de travail, les conditions de travail avec en corolaire possible l'augmentation du stress, et la bonne application du droit du travail... sujets pour le moins qui adressent directement notre fonction.
Vers une DRH 2.0 ?
Nous assistons bien à une réinvention complète de l'organisation de l'entreprise. Ces mutations ne se limitent pas à une simple utilisation de nouveaux gadgets technologiques. Elles entraînent un changement de référentiel pour la fonction RH qui se doit au préalable d'appréhender plus activement que par le passé les capacités offertes par les systèmes d'information. Sans être de véritables geek ne soyons pas technophobes !
Enfin, ne nous trompons pas : ces médias sociaux ne redéfinissent pas la nature ni les missions de la fonction RH. Ils fournissent un cadre structurel au passage de la Ressource à la Relation humaine. La Fonction RH doit changer d'èRe. Ce n'est qu'ainsi que le DRH sera le porteur de la sociabilité comme bien collectif et enjeu de cohésion. Faisons notre cette citation d'Antoine Riboud «Le changement technologique est une occasion extraordinaire de repenser le travail et d'améliorer la qualité de vie au travail».
Gageons que nous saurons appréhender la réalité du virtuel, prendre ce virage en donnant du sens afin de maintenir un lien social, bien réel celui là !
Source : Thomas Chardin pour RH Info, le 27 octobre 2010
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