Une enquête à laquelle 280 entreprises vaudoises ont participé éclaire les conditions de succès de l’outsourcing. L’externalisation est particulièrement indiquée pour les petites structures. Recrutement, conseils juridiques et formation sont les domaines pour lesquels les PME font le plus appel à des compétences extérieures
Imaginez le patron d’une petite entreprise qu’il a lui-même créée. Vous avez en tête la figure d’un homme qui maîtrise tous les rouages de la maison et s’occupe de tout, y compris de recruter, de gérer les conflits, de rédiger un certificat de travail pour un salarié qui s’en va? Cette image correspond encore, bien souvent, à la vie quotidienne au sein des petites et moyennes entreprises (PME), surtout celles qui comptent peu de collaborateurs.
Comment les PME s’en sortent-elles du point de vue de la gestion des ressources humaines (GRH)? Auraient-elles avantage à faire appel à des prestataires extérieurs pour se faire aider? Dans quels domaines externalisent-elles le plus leur gestion du personnel et lesquels font sens? C’est le sujet de mémoire qu’a choisi Frédéric Favre dans le cadre d’un master d’études avancées à la Haute Ecole de gestion ARC, de Neuchâtel. Ancien directeur des ressources humaines (DRH), chargé de cours au sein de cette HES, il a ensuite, sur la base des résultats de son diplôme, développé sa propre activité de conseiller en ressources humaines pour la société HR Plus.
Compétences extérieures
Pour répondre à la question de départ – les PME ont-elles avantage à outsourcer les RH? –, Frédéric Favre a fait appel à la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI). Celle-ci a adressé un questionnaire à plus de 666 entreprises employant entre 20 et 250 personnes; le taux de retour a été de 42%, soit 280 questionnaires. Les résultats du sondage ont été présentés lundi en fin de journée à la CVCI, à Lausanne, devant les chefs d’entreprise.
«Au vu des résultats, ma première surprise a été l’ampleur du recours aux prestataires externes, qui se monte à 76,4%, explique Frédéric Favre. Cela montre à quel point les PME ont besoin d’aide et de compétences extérieures.» A ce stade cependant, il ne s’agit pas uniquement d’outsourcing stricto sensu, défini comme un partenariat sur la durée avec un prestataire externe. Il s’agit de toutes formes d’externalisation et de sous-traitance.
Selon les résultats du sondage, le recrutement et le recours aux agences de placement se taillent la part du lion: 85,7% des PME interviewées y ont recours. Suivent les conseils juridiques (47,6%), «ce qui traduit l’omniprésence des contraintes légales», analyse Frédéric Favre. La formation arrive en troisième position (45,7%), suivie de l’appel aux chasseurs de têtes (29,5%), du coaching (24,3%) et de l’établissement des salaires (23,8%). «En Suisse, ce dernier chiffre est en retrait en comparaison européenne, où 35% des entreprises externalisent l’administration des paies», explique Frédéric Favre.
S’agissant des raisons invoquées pour externaliser la gestion du personnel, 64,8% des répondants avancent l’argument du gain de temps, qui leur permet de se concentrer sur leur cœur de métier. Dans 28,1% des cas, c’est la complexité du problème qui les pousse à se faire soutenir à l’extérieur – en matière d’assurances sociales, par exemple. Pour 27% des patrons, cela semble une solution plus rapide et 21,4% d’entre eux mettent en avant des économies financières.
Parmi ceux qui ne pratiquent pas l’outsourcing, 69,3% possèdent des compétences en interne et 56,2% estiment que c’est plus économique comme cela. Ils invoquent aussi le gain de temps et la rapidité d’une GRH interne. En outre, «de nombreux patrons ne veulent pas lâcher les ressources humaines, raconte Frédéric Favre. Plusieurs d’entre eux m’ont dit clairement qu’ils voulaient qu’elles restent proches d’eux.» Ils craignent à la fois la perte de savoir-faire interne, de contrôle et d’autonomie.
«Du mal à se confier»
C’est longtemps l’attitude qu’a eue Olivier Salovici, le patron de CD Mediacting, une société de 24 personnes, active dans la duplication de supports CD, DVD ou de clés USB, venu témoigner devant ses pairs à la CVCI. «J’ai longtemps géré moi-même les RH de mon entreprise, j’ai engagé chaque membre de mon équipe et je ne songeais même pas à recruter quelqu’un d’autre pour cela, car je n’imaginais pas que quelqu’un puisse remplir cette tâche mieux que moi, raconte-t-il. Je me sentais proche de chaque membre de mon équipe, j’avais le sentiment d’avoir la situation en main.» Au début, alors que la société compte quelques collaborateurs, le système fonctionne. «Mais avec le temps, je me suis rendu compte que j’investissais énormément de temps dans la gestion du personnel et que mes connaissances techniques étaient trop limitées pour répondre à des questions pointues, sur le 2e pilier par exemple, poursuit-il. Je me suis aussi rendu compte que certains collaborateurs avaient du mal à se confier à moi et n’osaient pas aborder tous les problèmes. A vrai dire, c’est lorsque j’ai fait appel à un prestataire externe que je me suis rendu compte à quel point les collaborateurs s’ouvraient plus volontiers à lui qu’à moi.»
Risques et limites
L’exercice de délégation comporte pourtant des limites. «Pour une petite société, cela fait sens d’externaliser les RH. En revanche, à partir d’une taille de 100 à 150 collaborateurs, l’entreprise a intérêt à engager un responsable du personnel à l’interne pour prendre en charge des questions qui sont nécessairement spécifiques à son contexte», estime le professeur François Gonin, directeur de l’unité «ressources humaines et management» à la Haute Ecole d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud, coauteur d’un ouvrage de référence sur la GRH.
«Pour ce qui touche aux ressources humaines à proprement parler, ce qui nécessite un contact et une connaissance des personnes, pour ce qui est de la définition de la stratégie, ce qui a trait à la culture de l’entreprise et à ses valeurs, pour les entretiens d’appréciation ou l’analyse des besoins en formation, il n’est pas conseillé de déléguer à l’extérieur. Il faut être à l’intérieur de l’entreprise pour savoir ce dont elle a vraiment besoin en lien avec sa culture et assurer une cohérence des pratiques et des divers outils de GRH. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui, où il s’agit de garder une âme et de donner du sens au travail.»
Outsourcing partiel
Frédéric Favre le rejoint sur ces points: «Il est évident que l’externalisation doit être pratiquée de manière différente selon l’entreprise, sa taille et sa culture. En fait, il ne s’agit pas d’aborder la question de l’outsourcing en termes de tout ou rien.» Certains aspects de la GRH se prêtent en effet mieux que d’autres à l’externalisation, en particulier les volets très techniques, opérationnels ou administratifs, de même que les opérations ponctuelles (une formation par exemple, un bilan de compétences, la gestion d’une situation de mobbing, un projet informatique précis). C’est ainsi que pratiquent certaines multinationales qui ont à la fois des services du personnel à l’interne et des pans d’activités externalisés.
Le recrutement est également un bon exemple, estime Frédéric Favre: une agence peut se charger de la première phase de recherche de candidats et des premières sélections en fonction du profil demandé. Mais le choix final parmi un nombre restreint de candidats appartient ensuite à l’entreprise, selon lui.
"Au sein d’une PME, externaliser des tâches administratives et opérationnelles chronophages permet au service RH de se recentrer sur des tâches stratégiques à forte valeur ajoutée, ainsi que sur le management humain – aider les collaborateurs à évoluer, par exemple, conclut Frédéric Favre. Ce temps libéré donne de véritables possibilités aux responsables RH de devenir des partenaires de la direction."
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