Numérique. Dès aujourd’hui, la Poste propose un «coffre-fort électronique» pour conserver des documents authentifiés (bulletins de salaire, relevés de comptes…). Reste à convaincre les particuliers de la sécurité du dispositif.
Prêt à libérer les étagères ? Brûler les factures et les relevés bancaires dans un hymne à la révolution verte et à la préservation des forêts ? La Poste signe la fin du papier avec Digipost, le coffre-fort électronique, accessible à partir d’aujourd’hui. On pourra y verser ses bulletins de salaire, ses factures et tous les papiers personnels que l’on souhaite archiver. Alors que le courrier papier décline, remplacé par le mail, la Poste veut imposer un nouveau standard, celui de la boîte aux lettres sécurisée électronique. Et vise à terme, immodestement, « 65 millions de clients ».
La valise virtuelle
Réserver son coffre-fort se fait en deux clics et trois minutes. Nom, prénom, date de naissance. Il faut donner aussi son adresse postale : c’est dans sa vraie boîte aux lettres que l’on reçoit, sous quarante-huit heures, son code confidentiel. Digipost propose trois services, accessibles sur Internet depuis n’importe quel endroit du globe. On peut d’abord se faire envoyer des documents personnels authentifiés. Des bulletins de salaires, des relevés de comptes bancaires, des factures, tous documents ayant une valeur légale et que la Poste s’engage à conserver pendant la durée requise.
Digipost se double, en outre, d’un espace d’archivage personnel. Chacun peut scanner les documents de son choix (avis d’imposition, pièces d’identité, preuves d’achats…) et les confier au coffre-fort. Troisième service, l’ouverture d’espaces de partage avec des tiers, (agent immobilier, banque…) pour mettre à leur disposition des éléments choisis. Utile pour signer un bail ou obtenir un crédit.
Un démarrage à petit feu
Quelque 7 000 boîtes Digipost fonctionnent déjà, testées par des salariés de la Poste qui ont servi de cobayes. Mais le groupe ne démarrera vraiment sa campagne de recrutement que lundi. Elle se démène dans le même temps pour convaincre des entreprises de lui confier leurs envois. Et elle vient de ferrer ADP, un gros poisson. Cette société édite les bulletins de salaire de 2 millions et demi de personnes pour le compte de 9 000 entreprises clientes.
Pour l’heure, ADP s’emploie surtout à convaincre ses propres employés. Après quinze jours de campagne, «on en est à 7 % d’adhésion», confie André Demollière, responsable du projet chez ADP, qui espère «monter à 40 % sous trois mois». Six clients de la société ont déjà signé.
De son côté, la Poste a conclu un contrat avec 25 entreprises qui représentent un potentiel de 10 millions de particuliers, dont les 5 000 salariés d’Acadomia, le spécialiste du cours de rattrapage scolaire. C’est encore maigre. Avec prudence, la Poste refuse de se fixer des objectifs à court terme. Juste un chiffre : «On devrait avoir largement plus d’un million de boîtes aux lettres d’ici à 2015.»
Des freins à lever
Les Français ne manifestent pas un grand engouement pour la suppression du papier. En deux ans de campagne auprès de ses 10 millions de clients actifs, la Banque postale n’a réussi à placer que 300 000 e-relevés de comptes sur les 13 à 15 millions qu’elle édite chaque mois sur support papier… Même échec des grands facturiers comme SFR, EDF ou Orange, qui n’ont convaincu qu’une poignée d’abonnés. A la Poste, on impute ce relatif échec à la difficulté de gestion de multiples mots de passe. Ce qui plaide pour une boîte unique, en l’occurrence, Digipost, insiste l’entreprise.
Les adhésions seraient plus nombreuses si le citoyen pouvait au moins, dans un premier temps, conserver à côté de l’e-relevé la sécurité d’une version papier. La Poste en convient volontiers : « Nos clients ont le sentiment qu’un e-relevé profite surtout à l’expéditeur, qui fait des économies », relate Nicolas Routier, le directeur général du courrier. Chez ADP, on ne nie pas des frais d’impression et d’affranchissement réduits, mais l’e-relevé a aussi un coût, et il est « facturé quelques centimes à l’entreprise ».
Des services à inventer
La Poste espère proposer très rapidement le paiement des factures depuis sa boîte aux lettres électronique. D’autres services sont à l’étude, comme la numérisation de « la boîte à chaussure du particulier », qui proposerait de scanner des archives, allant des bulletins du début de carrière aux papiers de famille. Autant de services qui seront payants. Pour l’heure, Digipost offre gracieusement 1 gigaoctet de stockage. Selon ADP, un bulletin numérisé ne pèse pas plus de 300 kilo-octets, ce qui permet d’en stocker plus de 3 000. Mais s’il s’agit d’y verser des photos, comme la Poste y invite ses clients, bonjour la facture ! Le groupe évoque 3 euros mensuels pour 5 gigas supplémentaires.
Quelles garanties pour le citoyen ?
Digipost, future cible pour les pirates ? La Poste revendique «un système fermé, propriétaire, qui a supporté plusieurs audits». Mais encore ? A la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), Gwendal Le Grand, chef du service expertise informatique, insiste, au-delà du cas Digipost, sur les garanties dont doivent s’entourer les utilisateurs face aux offres nombreuses de coffres-forts électroniques. «Attention à ne pas devenir captif du système auquel on confie ses données !» prévient-il. Un coffre-fort n’est jamais à l’abri d’une faillite. Ce fut le cas récemment de Safeforever. « Techniquement, on doit pouvoir quitter un système en rapatriant l’intégralité de ses données. »
Les 23 pages de conditions générales du contrat Digipost sont à moitié rassurantes. L’utilisateur est tenu de conserver son code secret. De ce fait, toute action effectuée sur son compte lui sera d’office imputée. La Poste s’engage à tout faire pour préserver l’accès aux données 24 heures sur 24, mais elle décline toute responsabilité en cas d’interruption ponctuelle du service. Venant d’elle, on s’attendait à un peu mieux.
Source : Libération.fr, "Digipost, ci-gît la paperasse" par Catherine Maussion, le 9 mars 2011
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