vendredi 24 décembre 2010

DRH, Tous schizophrènes !

La rentrée dans le tunnel hivernal entraîne rarement l'optimisme général. Mais est-ce les nuits plus longues, la sortie de crise qui met du temps à voir le jour, les grèves qui battent en retraite... quoiqu'il en soit une espèce de spleen m'assaille quand je regarde le positionnement actuel de la fonction RH.

Plus ou moins consciemment et volontairement, les DRH ont toujours été des gestionnaires de paradoxes, maintenant la fonction RH en équilibre instable entre l'humain et l'économique, entre le corps social et «la direction».

Comme des neutrons qui rentrent en collision, aujourd'hui ces paradoxes explosent. Les conserver sous cloche devient du travail d'orfèvre pour les DRH. A vrai dire, autant jouer au mikado avec des gants de boxe. Après «Tous DRH» et «Tous reconnus»*, nous voilà réellement tous schizophrènes !

Je vous propose une liste de quelques unes de nos contradictions comme autant de signes de discordance entre notre affectivité originelle pour la richesse humaine et la réalité de notre activité opérationnelle. Cette liste est purement subjective, non exhaustive et ne demande qu'à être complétée par vos soins, ou infirmée si vous ne partagiez pas ce constat.


C'est officiel, les DRH doivent dorénavant s'approprier tous les outils de la fonction financière, véritable bras droit du DG. Devenir Business Partner c'est d'abord travailler pour l'actionnaire et le « ROI ». Mais comment intégrer ces pratiques sans vendre son âme au diable du chiffre ? N'est-ce pas encore une fois aller à contre-sens que de vouloir quantifier l'humain et humaniser l'économique, parler capital humain avec les actionnaires et «capital-tout-court» avec les Partners sociaux ?

Et comment promouvoir le dialogue social alors que le contexte de l'entreprise est plutôt à gouter à la chaleur humaine d'un bon reporting boursier, d'un échange top down unidirectionnel de cost containment ? Allons, DRH ! Portons haut les couleurs de l'entreprise et ses valeurs, surtout si « la configuration de la moyenne mobile à 100 jours » laisse présager des résultats trimestriels supérieurs aux attentes des analystes.


Il n'a jamais été aisé de demander de l'engagement et de la motivation en restant droit dans ses bottes alors qu'on a le moral dans les chaussettes et que l'on n'est pas bien dans ses baskets de DRH. Au final, les pieds dans la boue et les mains dans le cambouis, comment gérer le timing d'une approche financière courtermiste et une logique humaine nécessairement plus longue ?

Le DRH doit rayonner dans l'entreprise. Certes ! Mais comment prêcher la bonne parole auprès des équipes quand on ne lui la donne pas en comité exécutif ? Et quand il la prend il n'a pas forcément toutes les clés de langage de ces pairs. Décidemment, la RH est un sacerdoce que tout le monde ne souhaite pas endosser.

Aussi, nous vivons avec affection notre métier RH, dans les deux sens du terme : avec attachement et altération de la santé. Il y a en effet un côté un peu masochiste à être DRH, renforcé par la nécessité d'aimer le calme des rapports humains sereins, et en même temps d'aimer les maux du corps social, ce qui légitime notre existence même et rappelle à la Direction Générale la nécessité d'avoir sous la main un acteur de l'entreprise dont c'est la vocation. Oui, il y a un côté maso à vouloir rester entre l'enclume des salariés et des managers, et le marteau de la direction et des actionnaires. Voire un côté légèrement sadique à faire respecter l'austérité salariale avec jovialité, et vouloir résoudre l'équation difficile du bien être au travail tout en étant déprimé.

En synthèse, comment porter la cohérence dans l'entreprise alors que nous avons chroniquement une discordance de notre pensée, de notre vie émotionnelle et du rapport au Business. Cette schizophrénie du DRH, à la croisée des chemins du social et de l'économique, n'est pas nouvelle... Mais là, les symptômes se développent ! Nous avons le choix entre le prozac à hautes doses ou une démarche de changement tellement profonde qu'elle va exiger de mobiliser toutes les ressources humaines !

Deux questions subsidiaires dans cette perspective :
- Les dirigeants se vivent-ils comme partie intégrante des ressources humaines ?
- Pourquoi les actionnaires ne sont-ils jamais considérés comme en faisant partie ?
 
* «Tous DRH», Editions d'Organisation, Jean-Marie Peretti, 2006. «Tous reconnus», Editions d'Organisation, Jean-Marie Peretti, David Alis, Gilles Arnaud, Dominique Ballot, 2005

Source : RH Info, DRH, "Tous schizophrènes !" par Thomas Chardin, le 16 décembre 2010

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